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„Quelques extraits de l’autobiographie charismatique d’Adrienne donneront une certaine idée des traces de Dieu dans sa vie avant sa conversion.
A quarante-cinq ans, dans l’extase, elle retrouve l’état de conscience qui était le sien à l’âge de huit ans; elle ne sait plus qu’elle a quarante-cinq ans, elle n’est plus que la petite fille avec ses pensées et son langage.
Se déroule le dialogue suivant : – Sens-tu Dieu? – Qu’est-ce que ça veut dire: sentir? Savoir? Quelque chose comme : être caressée? – Oui. – Comment dire? Familier? Ce n’est pas tout à fait le mot juste. – Alors, comment? – Je suis sa petite sœur… Il voit tout… Il entend tout… Il est partout. Tu sais? Quand tu fais ta prière, ou quand tu manges, ou quand tu joues, tu sais toujours qu’il est là. Mais c’est très drôle, tu sais, parce que tu ne peux pas dire qu’il se cache. Ce n’est pas comme au jeu de cache-cache où quelqu’un va derrière un arbre et on sait qu’il est là. C’est tout à fait différent. – Comment? – Tu ne peux pas le dire, toi? Tu sais tant de choses. Pourquoi les gens ne disent jamais rien? Ils disent toujours « des paroles », mais jamais « des choses ». Qu’est-ce que vous attendez? – Peut-être que toi, tu le diras? – Je ne peux pas l’expliquer. Je ne peux pas répandre des fleurs… sur le chemin du Bon Dieu. Un jour j’ai reçu des violettes… C’était peut-être le premier bouquet que j’ai reçu. Avec les fleurs, j’ai fait un chemin pour le Bon Dieu dans la chambre de jeux. On m’a beaucoup grondé: peut-être que je n’avais pas assez secoué les violettes pour éviter de mettre de l’eau par terre. Mais je leur ai dit que c’était un chemin pour le Bon Dieu. J’avais pensé: s’il est là, il sera peut-être un peu content d’avoir ses pieds sur les fleurs. Mais il n’écrase pas les fleurs. Peut-être que ça lui fera un petit plaisir. Et j’en ai mis plus pour la table de Willy et d’Hélène que pour la mienne. Trois chemins qui partaient de la porte. – Pourquoi cela? – Pourquoi plus? Si le Bon Dieu aime bien marcher sur les fleurs, il ira surtout là où il y en a plus. – Alors tu ne veux pas qu’il vienne aussi à toi? – Mais si. On ne doit pas dire comme ça. Mais je voudrais le forcer un peu plus… à aller, tu comprends? – On peut donc le forcer? – Oh! Oui. Un peu, s’il aime les fleurs. Tu ne crois pas?3… Le surnaturel authentique ne peut se greffer que sur un naturel authentique.
Toujours à quarante-cinq ans, Adrienne retrouve la conscience qu’elle avait à quinze ans: – Comment fais-tu ta prière du matin? – On ne la commence jamais. J’ai toujours l’impression qu’on la continue. Un peu comme si j’avais dormi avec des amies dans la même chambre et qu’elles se soient réveillées avant moi; elles ont commencé à parler ensemble de choses que je connais aussi. Je me réveille et je les entends parler; aussitôt je puis me mêler à la conversation: « Oui, je pense aussi comme ça… » Je suis tout de suite au courant. C’est à peu près la même chose pour la prière. On est en plein dedans. – Et que dis-tu? – J’écoute d’abord un petit peu… Vous savez, je crois tout à fait autrement que celles qui vont au catéchisme. – Où est la différence? – Je m’occupe presque toute la journée du Bon Dieu… Ou bien peut-être que c’est exagéré. Je ne sais pas comment je dois dire. Vous comprenez? Quand les autres vont au catéchisme, elles se disent: Qu’est-ce qu’on doit apprendre par cœur aujourd’hui dans l’histoire biblique? Et je me dis: Mon Dieu, j’espère apprendre quelque chose de toi4.
A vingt-deux ans, étudiante en médecine, Adrienne se casse une jambe. Séjour à l’hôpital. Visite de l’aumônier catholique. – Est-ce qu’il t’a plu? – Ouiii… Est-ce que je dois te dire quelque chose? Pour moi, un curé a une auréole. Et c’est la première fois que je vois un curé. En tout cas, je n’ai encore parlé à aucun. Il parle comme s’il venait d’avoir avalé un pot de vaseline. Il vient me rendre visite assidûment… Il parle souvent du Bon Dieu. Mais ça sent la vaseline. « Notre Seigneur est si bon ». J’aurais voulu lui dire: « Aussi bon que la vaseline ». Je ne le hais pas. Il est terriblement bête et il se prend très au sérieux, mais c’est quand même un curé… Je voudrais entendre la voix de Dieu et je ne l’entends pas5. L’étudiante en médecine, avec sa liberté de langage, rejoint ici André Chouraqui. Le langage sur Dieu qu’elle entend n’est pas adéquat. Le sera-t-il jamais?
Vers vingt-cinq ans: « Maintenant je dis depuis près de vingt ans que le Bon Dieu est autrement. Est-ce que ce n’est pas énervant à la longue? Et puis je ne sais pas du tout qui sont ceux qui savent comment est le Bon Dieu »6. Prière d’Adrienne à la même époque: « Montre-moi, dans l’idée que je me fais de toi, ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ne te lasse pas de tout me montrer jusqu’à ce que je sois sûre que tu es le vrai Dieu et comment tu es le vrai Dieu… Ô je te prie, montre-moi comment tu es autrement »7. A vingt-six ans: « Je suis bien convaincue que Dieu est autrement que je le pense. Et je suis surtout convaincue qu’il est encore beaucoup plus différent de ce que les gens pensent »8.
Vers l’âge de trente ans, Adrienne s’est trouvée aux portes de la mort. Elle aurait bien voulu mourir: « Je pensais: si on pouvait mourir maintenant, on pourrait voir comment Dieu est autrement, et alors c’en serait fini de mes tourments… C’était tellement naturel pour moi de mourir. Quand j’étais malade, nous avions du temps l’un pour l’autre, le Bon Dieu et moi. Je ne sais pas si on doit appeler ça prière. Je veux dire que j’étais heureuse d’être avec lui »9. Enfin, quelques mois avant sa conversion: « Je ne crois pas que ce puisse être dangereux d’être livrée à Dieu »10. Il y a donc dans la vie d’Adrienne cette longue attente, un peu douloureuse, d’une révélation du vrai Dieu. Elle cherchait Dieu au-delà des mots usés et des routines. Un jour, pour elle, le ciel s’ouvrira et personne ne parlera de Dieu comme elle.”